Saturday, February 19, 2022

L'Impératrice et l'Abbé

 

L'Impératrice et l'Abbé

Author : Hélène Carrère d'Encausse

Publisher : Fayard

Publication date : 2003

 

La Russie est-elle un pays d’Europe ? Ou un pays barbare que l’Europe doit écarter ? Le roi Louis XV penche pour la première formule et, pour le démontrer, envoie en Russie en 1761 un savant, membre de l’Académie des sciences, l’abbé Chappe d’Auteroche. Le récit de l’abbé, au terme d’un voyage qui le conduit jusqu’en Sibérie, est publié en 1767. C’est la première relation de ce type sur la Russie, plus poussée, mieux fondée que le livre que publiera Custine en 1839. Récit ravageur, violemment hostile à tout ce qui est russe, et qui connaît un grand succès, mais sera depuis lors ignoré.

 

Catherine II, montée sur le trône en 1762, est passionnément attachée à la culture française, à l’esprit français, aux philosophes et savants français, ses amis. C’est la pensée française qu’elle prétend importer en Russie. Pourtant, le livre de l’abbé, surtout par le succès qu’il rencontre, provoque sa fureur. Et la conduit à une démarche inédite pour un chef d’Etat qui ne se contente pas de régner, mais gouverne activement un immense empire : elle répond elle-même. Sa réponse, l’Antidote, publiée en 1770, ouvrage de près de 500 pages où elle attaque et contredit l’abbé ligne à ligne, est une oeuvre étonnante. Polémique, mais aussi exposé de sa propre conception de la Russie et critique de l’esprit français, arrogant, méprisant, convaincu de sa supériorité.

 

La confrontation des deux ouvrages, que l’ample préface complète et éclaire, contribue à la connaissance contemporaine de la Russie et de son histoire au moment où celle-ci s’impose à l’Europe.


"Pour réfuter le livre de Chappe, Catherine II fit publier un ouvrage très curieux dont bien peu de personnes connaissent aujourd'hui l'existence, mais dont quelques éditions peuvent encore se trouver. Ce livre, d'une critique acerbe, écrit en français, porte au titre : Antidote ou examen du mauvais livre superbement imprimé, intitulé : Voyage en Sibérie en 1761, par Chappe d'Auteroche, Paris (Amsterdam), 1768, 2 vol. in-8. II fut reproduit de nouveau en 1771 et 1772. Le titre, on le voit, suffit pour faire comprendre dans quel esprit de lutte acrimonieuse il fut composé. 
On y lit beaucoup de mauvaise foi, mais aussi quelques vérités. De fait, Chappe n'était pas au-dessus de toute critique. Certes, il stigmatise avec raison la manière dont la Russie est maintenue par le régime inique des tsars sous la botte du servage, mais ne prive pas, lui de traiter à coups de poings ses propres domestiques. Quant aux savant de Russie, à l'en croire ils sont inexistants! Lui, l'esprit finalement bien médiocre, qui singe si bien l'esprit des Lumières, plus qu'il ne s'y inscrit en vérité, ne voit dans les Russes que des imitateurs sans génie. Il est sans doute exact que la politique de modernisation de son pays par Pierre Ier avait consisté s'inspirer largement des les technologies disponibles en Occident (L'empire de Pierre), mais avec Chappe, intoxiqué par la lecture de Montesquieu, l'imitation devient une tare congénitale dont seraient affligés les peuples des climats froids. Lomonossov est cité une fois, par inadvertance, dirait-on! Et au détour d'une phrase, il nous apprend que l'Académie de Saint Pétersbourg a envoyé à Tobolsk des astronomes pour y observer le même événement que lui, mais une fois sur place on le croirait seul au monde, confronté à une population de sauvages qui le prennent pour un magicien... 


http://www.cosmovisions.com/VoyageChappe00.htm